Le bassin du Congo abrite la deuxième forêt tropicale du monde après l’Amazonie : elle s’étend sur une superficie de 165 millions d’hectares dont les deux tiers se trouve en RDC. Ses milliards d’arbres, essentiels pour la survie de l’homme, font l’objet de recherches scientifiques poussées.
À Yangambi, à 25m au-dessus de la canopée, se dresse la tour à flux, une structure unique dans le bassin du Congo. Ce site est redevenu un lieu d’expérimentation où l’on cherche aujourd’hui à lutter contre le réchauffement climatique et à restaurer la biodiversité.
Haute de 55m, cette tour à flux est venue rejoindre il y a un an les quelque 1400 tours à flux dans le monde. Il en existe 12 en Afrique. Le projet CongoFlux a été conçu par l’Université de Gand en Belgique et construite à Yangambi, en pleine forêt. Un appareil mesure la direction et la vitesse du vent, un autre, les concentrations de gaz. En combinant ces données, les scientifiques quantifient les flux. La tour est opérationnelle depuis octobre 2020.
“Cette structure nous permet de quantifier les échanges de gaz à effet de serre entre l’atmosphère et la forêt,” explique Thomas Sibret, responsable projet de CongoFlux. “Nous pouvons ainsi calculer en continu la quantité de carbone émise et séquestrée par la forêt du bassin du Congo,” ajoute-t-il.
Premier poumon de la planète
Les forêts du bassin du Congo stockent par hectare et par an, plus de CO2 que l’Amazonie, comme le rappelle Michel Baudouin, directeur de l’ERAIFT (École Régionale d’Aménagement et de Gestion intégrés des Forêts et Territoires Tropicaux/UNESCO) et recteur de l’Institut facultaire des Sciences agronomiques de Yangambi.
“Cette forêt, contrairement à ce qui se dit beaucoup, n’est pas la deuxième poumon de la planète, mais le premier poumon de la planète : c’est la deuxième superficie, mais c’est la première capacité de fixation de carbone,” indique Michel Baudouin. “Pour beaucoup de raisons biologiques, historiques, on fixe plus de carbone aujourd’hui dans le bassin du Congo que dans le bassin d’Amazonie ou d’Indonésie,” dit-il.
“En sachant ce que notre forêt est en train d’absorber, on se dit pourquoi ne pas protéger cette forêt qui est en train de nous aider à éviter le grave fléau du changement climatique,” ajoute Fabrice Kimbesa, technicien de CongoFlux.
Lutter contre l’érosion de la biodiversité
Le site de Yangambi dans le nord de la RDC était dans le monde, la plus grande station de recherche tropicale lorsque le pays était une colonie belge. Symbole de cette période, l’herbarium qui de sa construction en 1933 jusqu’à l’indépendance en 1960 détenait le plus grand herbier d’Afrique avec 150.000 plantes. Un trésor aujourd’hui en cours de digitalisation grâce au concours du jardin botanique de Meise en Belgique.
Papa Elasi veille depuis plus de 30 ans, sur ce sanctuaire de la botanique et s’inquiète pour l’avenir : “Quand nos collègues belges ont quitté le Congo, ils ont dit qu’ils avaient récolté 40% de la végétation du Congo, il reste 60% qui sont dans la nature et quand on parle de changement climatique, cela me fait peur pour ces espèces,” confie-t-il. “Elles peuvent disparaître sans qu’on connaisse leur existence et la démographie aidant provoque l’érosion de la diversité,” renchérit-il.
Le botaniste Elasi Ramazani rajoute que “80% de la population de la RDC vit d’activités rurales qui provoquent l’érosion de la biodiversité.” Il souhaite aujourd’hui lutter contre la disparition des plantes en créant un jardin systématique dans lequel seraient plantées toutes les espèces du Congo, sur 600 hectares.
Former les futurs gestionnaires des ressources forestières
Aujourd’hui, le CIFOR (Centre pour la recherche forestière internationale) appuyé au niveau logistique par R&SD Technology travaille à faire renaître Yangambi en partenariat avec l’INERA, l’Institut national d’études et de recherche agronomique. Le projet FORETS (Formation, Recherche et Environnement dans la Tshopo) financé par l’Union européenne commence dans des bâtiments presque terminés à la faculté des sciences de Kisangani où l’on forme les futurs acteurs d’une gestion durable des ressources forestières.
La RDC manquait de spécialistes congolais en la matière, ils sont en pleine formation : parmi les matières enseignées, la botanique, la zoologie, les aspects sociologiques comme l’anthropologie, le droit et la politique. Gérer la forêt, c’est aussi gérer les communautés humaines. Ce sont les meilleurs étudiants du pays qui par concours, rejoignent cette université. La formation est donnée par des professeurs qui viennent aussi de l’étranger. Les 260 étudiants en master et doctorat font leurs travaux pratiques à Yangambi, à deux heures de cette ville de 1,2 millions d’habitants, la troisième du pays. Deux heures de navette rapide sur le fleuve Congo nous transportent à Yangambi.
Dans une classe pleine à craquer, certains enfants sont même accrochés aux fenêtres à l’extérieur : ce matin-là, Yves anime un atelier de sensibilisation pour les enfants. Ils seront la prochaine génération responsable de la protection de leur forêt.
Pour l’UE, “la RDC est un joyau avec sa ressource forestière immense”
“La RDC est notre plus grosse enveloppe en faveur de la préservation de la biodiversité en Afrique,” précise Jean-Marc Châtaigner, ambassadeur de l’Union européenne à Kinshasa. “La RDC est un pays solution : c’est un pays immense qui a une ressource forestière immense : c’est un joyau qui est un facteur de développement pour les populations et pour la préservation de la planète,” affirme-t-il.
Le projet FORETS porté sur place par une trentaine de permanents, chercheurs et agronomes venus du monde entier prend aussi la forme d’une ferme école, de recherches sur le café et la biologie du bois avec un laboratoire unique en Afrique centrale et de la construction d’une centrale de cogénération biomasse pour fournir de l’électricité et de la chaleur (cette dernière est utile pour le séchage des poissons du fleuve Congo voisin) dont le premier module sera opérationnel l’été prochain.
L’option de l’agroforesterie
Le projet développe également l’installation de ruches, une source de revenus supplémentaires pour les agriculteurs, la protection des animaux avec la recherche d’alternatives à la viande de brousse, une filière piscicole, une filière bois énergie (avec dans la ville de Kisangani, à une centaine de km de là, l’AFEVADES, une association de femmes qui utilisent du bois recyclé, les déchets de la scierie, pour produire le makala, le charbon de bois) et, grâce à l’agroforesterie, la lutte contre la déforestation. L’objectif est de protéger la réserve de Yangambi en développant une économie qui mette moins de pression sur la forêt, quand les champs rentrent de plus en plus dans la forêt.
Olivier Mushiete, directeur de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) et agroforestier, explique que “pour réussir à faire en sorte que la forêt soit moins dégradée, l’une des options, c’est l’agroforesterie, c’est-à-dire accompagner et encourager les communautés locales à pratiquer l’agroforesterie, à planter les arbres pour fertiliser les sols, produire du bois énergie, etc.” dit-il.
Au milieu des pousses d’arachides, les fermiers plantent aujourd’hui à Yangambi, des acacias, des arbres à croissance rapide qui fertilisent les sols. La pépinière du projet FORETS leur a fourni les plantules. Objectif : planter 5 millions d’arbres.
Développer une nouvelle agriculture
L’agroforesterie prend tout son sens à Ntsio, 150 km à l’est de Kinshasa, la capitale. Ntsio signifie savane. Dans la savane herbeuse de cette région, l’Union européenne investit depuis 2013 pour que l’agriculture puisse se développer sur ce sol sableux non productif, nourrir les populations locales et celles de Kinshasa et ralentir l’exode rural. Le projet est géré par la fondation allemande Hans Seidel. Sur place, on reproduit un modèle qui a déjà fait ses preuves, non loin de là, à Mampu. Le projet Ntsio est l’un des plus gros financements de l’Union européenne pour l’Afrique centrale.
260 familles sont savamment réparties sur 5500 hectares où une forêt artificielle a été créée. Les terres ont été cédées par les chefs coutumiers. Ce sont eux qui ont proposé les fermiers qui travaillent sur place. Chaque famille gère 17 hectares, 2 hectares sont consacrés à ses besoins personnels, elle y a planté des palmiers tout près de sa maison et produit de l’huile de palme. Sur les 15 hectares restants, les familles plantent du manioc, des céréales ou des légumineuses qui poussent à l’ombre des acacias, l’arbre providentiel de l’agroforesterie.
Un arbre qui crée de l’ombre, pousse vite, attire des chenilles comestibles, sert à faire du charbon de bois – élément indispensable pour la cuisson des aliments – et présente des propriétés intéressantes selon Benjamin Tandala Kalenza, coordinateur du projet Ntsio et fermier sur la zone : “Ses feuilles qui tombent au fil des années s’entassent et forment une couche d’humus et les racines de l’acacia fixent l’azote. C’est cela qui fertilise les sols dans les même conditions que la forêt,” fait-il remarquer.
L’agroforesterie ne consiste pas seulement à mélanger arbres et cultures, mais à opérer des cycles de récolte, se passer d’un tracteur pour labourer et couper les acacias tous les 10 ans pour produire du charbon de bois. Le charbon de bois est utilisé par 95% de la population pour la cuisson des aliments : c’est quasiment l’unique source d’énergie, donc la coupe de bois est indispensable. Planter des acacias réduit donc la déforestation. Les acacias permettent enfin de produire du miel. C’est un arbre apprécié des abeilles.
Des bornes fontaines en pleine savane
A Ntsio, chaque semaine, les comités de fermiers se retrouvent pour échanger sur les cultures et la vente des produits, principalement pour la ville de Kinshasa et ses 20 millions d’habitants. Des dépôts de stockage sont installés dans le domaine de Ntsio, à la fois pour vendre à des gens venus de Kinshasa et d’où partent les camions qui livreront la région.
L’eau a été installée et les familles se partagent des bornes fontaines, insolites petites installations bleues aux couleurs de l’Union européenne, disséminées dans le paysage verdoyant. Une borne fontaine sert à 8 habitations. Une carte magnétique prépayée permet de gérer sa consommation d’eau. Il suffit de la glisser dans la borne pour que l’eau coule et de la retirer pour que le flot s’arrête. C’est aussi simple qu’un robinet alors qu’on est en pleine savane. Le m3 coûte 5000 francs, soit 2 euros. Les quatre châteaux d’eau sont alimentés par un réseau souterrain de 50km et un forage. Le projet Ntsio assure une sécurité alimentaire et a permis aux fermiers de multiplier par 10 leurs revenus.
“Ma vie est différente parce qu’avant, j’achetais la nourriture, le manioc,” explique Judith Makazi Kazwala, dans sa ferme. “Avant il me fallait sortir de l’argent pour acheter, mais maintenant, ce n’est plus le cas, je vais dans les champs, je récolte et cela me permet de me nourrir,” poursuit-elle. Se nourrir grâce aux champs à côté de sa maison et avoir de l’argent pour envoyer ses enfants à l’école et répondre aux besoins essentiels comme la santé.
Un environnement plus sûr
Une exceptionnelle pépinière, rare en Afrique centrale, fournit les fermiers pour les plantations et offre une formation rémunérée aux enfants des rues de Kinshasa. Payés 5 dollars par jour, ces jeunes entre 16 et 25 ans prennent un nouveau départ, se forment et achètent parfois à leur tour, des terres avec leurs économies. Pierre Matungulu, surnommé “papa oignon”, le chef de cette pépinière de 2 hectares, veille sur ces garçons comme sur ses plantations : les plantules d’acacia ou d’eucalyptus sont arrosées grâce au forage qui pompe l’eau de la nappe phréatique à plus de 100 mètres sous terre. La pompe fonctionne grâce à l’énergie solaire : elle est alimentée par 136 panneaux solaires et par un groupe électrogène.
Ceinturant le site agroforestier, sur 50m de large, une prairie sert de pare-feu pour ralentir les feux de savane. Elle est entourée de 95.000 pinus, un arbre qui brûle mal et qui ne fait pas du bon charbon de bois, donc idéal comme délimitation du domaine de Ntsio. Dans cette bande herbeuse de 250 hectares qui évite la propagation des incendies, le plus grand danger dans la savane, 90 génisses paissent, faucheuses naturelles qui veillent sur la sécurité des habitants. Un élément supplémentaire pour la population de Ntsio qui vit dans un environnement naturel et social plus rassurant.